The text below is from a collection in progress of yet unpublished short stories, entitled “Fragments”.
Les rayons du soleil sont diffus en cette matinée fraîche. Ils dissipent l’humidité du printemps naissant et jettent leur lustre sur l’angle de ce muret en perçant un filet de lumière qui se glisse dans l’interstice de la façade de pierre pour couler le long d’une fente et aboutir comme une lame de rasoir là où on voit danser des fibres de poussière. Cet espace créé devient la cible d’un cafard qui avance gauchement, trébuchant sur la paille désordonnée, et traverse le faisceau lumineux pour être aperçu par ce barbu grisonnant qui cherche à l’atteindre en allongeant le bras droit. Il lui manque un doigt pour le toucher, mais comme il se dresse voulant se donner plus d’extension, il tire sur la chaîne déjà tendue et la douleur aiguë causée par les fers qui enserrent son poignet devient insupportable, l’obligeant à renoncer à sa proie. Le cafard continue sa route et s’éloigne irrévocablement hors d’atteinte sous l’observation hagarde du supplicié dont la pointe d’élancement se noie bientôt dans sa carcasse marquée de maux de différentes intensités qui se mêlent, se superposent et finissent par n’être qu’une masse informe et endolorie, secouée par des gémissements que depuis longtemps personne n’entend plus. Il s’efforce de deviner la plaie cachée par les fers qui menottent son poignet gauche et glisse le petit doigt pour sentir s’il reste encore de la chair sur ses os, mais la partie couverte de son avant-bras est tellement ankylosée que même en grattant avec son ongle noirci, la sensation est presque absente. Sous l’ongle, une pâte poisseuse se ramasse et son odeur putride lui fait monter plus d’acide dans l’estomac, le forçant à se tordre davantage.
Par moments, il regrette les premiers temps où des pensées plus claires lui venaient. Il se disait alors que, malgré les souffrances de son corps, son esprit lui appartenait. Les passages de son bourreau qui ouvrait sa geôle pour offrir à des spectateurs sadiques une séance de torture avec une chaîne ou une pierre lui avait rompu la colonne vertébrale et enlevé toute sensation des jambes. Maintenant, il se pisse dessus sans ressentir la chaleur de son urine et de son sang. Après ces séances répétées, il se disait qu’il lui restait sa dignité que personne ne lui enlèverait jamais. Mais ses pensées sont plus confuses à présent, et il n’a que faire de sa dignité et de son humanité qu’il avait crue permanente. Ce qui l’obsède, c’est ce cafard qui ne semble pas décidé à s’éloigner pour de bon. Il sillonne le foin, s’enfonçant dans la pourriture pour resurgir un peu plus près, presque à portée de main. Il avait essayé de mettre fin à ses jours en s’étranglant, mais ses chaînes n’étaient pas assez longues. Puis, il avait essayé de s’éclater la tête contre la pierre, mais il n’arrivait pas à cogner assez fort, trop frêle qu’il était devenu. Il aurait dû s’y prendre quand il avait assez de force, car tout ce qu’il réussit à faire c’est s’infliger des ecchymoses, puis s’éveiller après avoir perdu connaissance, l’oeil presque fermé, maculé de sang gluant et de croûtes qu’il doit gratter pour se libérer la vue. En ce moment, il peut voir le cafard se rapprocher et cela lui donne un grand espoir, l’emplit de joie même.
Quelle fût son extase lorsque l’insecte, ayant grimpé au bout d’un monticule de paille, perdit l’équilibre et retomba sur le dos en ballotant les pattes dans le vide pour se trouver à sa merci. Il dégagea prudemment un petit tas de foins, et jouant du doigt, réussit enfin à se saisir du cafard. Bien agrippé entre les ongles noirs du pouce et de l’index, il l’éleva comme un trophée et l’observa dans le filet de lumière qui s’était déplacé vers lui. Il voyait cette petite bête impuissante se débattre et se sentait le coeur d’un conquérant. Il voulut faire durer ce plaisir, mais la faim le tenaillait trop et déjà ses sucs digestifs se mettaient en marche, lui causant encore plus de crampes. Alors il porta l’insecte à sa bouche et se mit à le grignoter et à tâter de sa langue les jus salés qui se libéraient, avec la saveur exquise de noisette qui se répandait sur ses papilles, en avalant peu à peu cet inestimable et précieux repas.
Ludmila Armata is a Montreal artist who has travelled the globe and taught art. Her works are represented by Gallery d’Este in Montreal.